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mardi 4 décembre 2012

Les entreprises françaises face aux enjeux du numérique


Stratégie, Gouvernance, Financement et Nouveaux Business Modèles de la start-up, à la PME, à la multinationale…

Compte-rendu de la réunion du Club Français de la Gouvernance des Systèmes d'Information le 28 novembre 2012 à l'école de Management Léonard de Vinci à la Défense 

Le développement rapide de l’économie numérique est une opportunité exceptionnelle pour les entreprises. C’est un moyen de développer leur activité économique et d’accroître leur rentabilité. Certaines sont capables de saisir rapidement ces opportunités et de gagner en compétitivité, pendant ce temps, d’autres ont plus de mal à le faire.
De nouveaux « business model » porteurs de forte valeur ajoutée émergent. L’analyse montre que les entreprises ayant revu leur fonctionnement et leurs processus en intégrant la dimension système d’information sont deux à trois plus performantes que les autres.
§ Quelles sont ces nouvelles opportunités et ces nouveaux business modèles ?
§ Comment la sphère publique peut et doit être repensée avec les nouveaux territoires et living labs ?
§ Quels sont les nouveaux leviers de performance et d’innovation ?
§ Comment inciter les entreprises traditionnelles à saisir rapidement ces opportunités ?
§ Quels sont les nouveaux modes d’organisation et de gouvernance des organisations ?
§ Comment financer ces nouvelles entreprises et projets ?
§ Quels sont les freins que rencontrent les entrepreneurs ?

Interventions 

Débat animé par Claude Salzman, président du Club Européen de la Gouvernance des Systèmes d'information

Dante Planterose, associé de Kawet

Kawet est née de la constatation de la difficulté rencontrée par les entreprises pour développer des applications fonctionnant sur les smartphones pour permettre au personnel de l’entreprise de saisir des données sur le terrain. Ce peuvent être des commerciaux, des techniciens de maintenance, des releveurs,… Avec l’outil conçu par Kawet il est possible de définir les écrans sans peine. Les données saisies sont validées sur le smartphone ou sur un serveur fonctionnant en mode Saas sont ensuite stockées et rendues disponibles pour tout traitement. A l’origine ce système fonctionnait sous iPhone mais aujourd’hui il est opérationnel sur tous les smartphones notamment ceux fonctionnant sous Androïd.
Le premier client de Kawet a été Procter & Gamble puis la SNCF et peut être demain la Poste. L’entreprise commence aujourd’hui son internationalisation. Il y a deux ans ils étaient 2 et sont aujourd’hui 12.  


Fabien Thierry directeur de l’incubateur PEEGO, professeur associé à l’Ecole de Management Léonard de Vinci

Dans le cadre du Master 2 de création d’entreprise les étudiants créent leur entreprise et ils sont aidées par l’incubateur de l’Université qui s’appelle Peego. Ainsi il s’est créé cette année 6 entreprises dont 3 dans le secteur de l’habillement et 3 dans celui du service.
Une des entreprises plus intéressantes s’appelle « Monsieur Moustache ». C’est du commerce de chaussure pour homme crée par trois étudiants : Guillaume Alcan, Antoine Vigneron et Thibault Repelin. L’un a fait des études financières, un autre vient du marketing et le 3ème est ingénieur de production.
L’entreprise a été créée en avril 2012. Au bout de six mois c’est un succès. Une partie de cette réussite est due à la boite en bois qui contient la paire de chaussures achetée. L’entreprise vend sur son site propre de commerce électronique mais aussi dans des sites de ventes privées. De plus elle recours à un petit réseau de 17 boutiques et 10 nouvelles boutiques vont arriver ce mois-ci. Elle vend entre 50 et 100 paires par jour.
Le financement a été assuré par les trois entrepreneurs et leurs copains. Ils jouent de plus le rôle d’ambassadeur de la marque auprès de leurs amis et leurs relations. Dans ce dispositif le « love money » joue un rôle important.
L’incubateur Peego a pour rôle d’accompagner les étudiants et pour leur faciliter certaines démarches qu’ils ignorent


David Fayon, responsable de la Prospective et de la Veille à la Direction du Système d’Information de la Poste Courrier

L’idée maîtresse est que le courrier traditionnel est en déclin et qu’il a besoin de se réinventer avec de nouveaux usages liés au numérique. C’est une question de survie pour La Poste qui doit par ailleurs concilier rentabilité économique et missions de service public. Pour cela la DSI du Courrier innove avec un écosystème d’acteurs (autres entreprises, écoles, universités, start-up) et en décloisonnant les directions. Par ailleurs, nous avons lancé le campus numérique dont l’idée est d’avoir sur un même plateau projet des concepteurs/développeurs mais aussi des marketeurs (par rapport au business plan des nouveaux produits/services) et des designers notamment. Cette innovation est vitale pour disposer de nouveaux relais de croissance. Des projets comme Factéo vont permettre d’équiper tous les facteurs courrier de smartphone avec des usages mixtes (professionnel/privée) d’ici 2015. D’autant plus que La Poste a deux valeurs, la confiance (avec le facteur qui est un agent assermenté proche des citoyens) et la proximité (maîtrise du dernier kilomètre, réseau des bureaux de poste). On pourra imaginer des services autour liés à la géolocalisation, l’horodatage comme les services à la personne. D’autres projets comme la boîte aux lettres connectée avec une intelligence embarquée sont dans les cartons sans compter le coffre-fort numérique (Digiposte), le courrier dit hybride (La Lettre en Ligne, MaCartaMoi). Nous assistons à l’apparition d’une kyrielle de nouveaux services, certains générant peu de chiffre d’affaires mais répondant à des marchés de niche. Et la longue traîne va se vérifier dans le cas des services de La Poste. De plus en plus en mode projet, on travaille aussi sur un réseau social interne de partage avec community management associé et le développement de bêta-testeurs et de contributeurs externes pour tirer profit de l’intelligence de la multitude qui se situe aussi et surtout en dehors de l’entreprise, on procède par ailleurs à des réponses à appels d’offre conjointement avec d’autres sociétés ce qui relève d’un changement structurel notable. Voir les sites www.laposte.fr et www.davidfayon.fr


Bernard Quino, enseignant chercheur en Système d’information, Vice président de l’Université de Nanterre chargé de la formation continue & de l’insertion professionnelle.

Dans le cadre d’un projet de recherche sur l’utilisation de monnaies virtuelles dans les réseaux sociaux, nous avons étudié les nouveaux business modèles mis en œuvre sur le Web. Un entrepreneur sait intuitivement ce qu’est un business modèle mais on peine à définir globalement comment cela doit être agencé et mis en œuvre.
Les différentes recherches sur ce concept ont permis d’identifier 3 grandes parties d’un business model : 1) quelle valeur créer et pour qui ? 2) Comment fabriquer cette valeur ? 3) Comment capturer la valeur crée soit comment générer du revenu ?
Il ne s’agit pas d’un processus mais bien des 3 composants d’un BM.
Quels bouleversements ont été apportés par les nouvelles technologies du Web ? Tout d’abord les clients potentiels sont multiples, il faut réfléchir par groupe d’acteurs qui  interagissent et non plus par cible client isolée. Deuxièmement, il semble très difficile de créer de la valeur seul, il faut nouer des alliances avec des partenaires externes et créer pour aux aussi de la valeur. De ce fait la fabrication de la valeur impose de réfléchir à la « gouvernance » de ce réseau de partenaires et de groupes d’acteurs clients. Enfin les modes de revenus sont très variés et doivent être adaptés et évolutifs dans le temps. Plusieurs exemples, tirés du projet de recherche, permettront d’illustrer ces propos.


Christophe Legrenzi, PDG d’Acadys et Responsable du Club Français de la Gouvernance Informatique

Les nouveaux modèles d’organisation

1.     Les enjeux de l’organisation du travail
L’organisation du travail conditionne inéluctablement la façon de travailler des collaborateurs et de nos entreprises. Elle influence à la fois la productivité et l’innovation. C’est donc une composante essentielle de la compétitivité. Pourtant, peu d’entreprises remettent en question leur fonctionnement et leur modèle d’organisation. Celui-ci trouve son origine il y a déjà bien longtemps dans un contexte bien particulier qui ne correspond peut être plus aux enjeux actuels de notre société.
2.     Contexte et caractéristiques du modèle actuel hiérarchique dit « taylorien »
Les organisations d’aujourd’hui reposent sur un concept simple mais puissant qui a été conceptualisé par Adam Smith, père de l’économie classique, dans la « Richesse des Nations » : la spécialisation. En prenant le fameux exemple de la fabrication des épingles, il démontrera que l’on produira bien plus d’unités si chacune des opérations est confiée à une personne bien précise plutôt que chaque ouvrier réalise toutes les tâches. Dans ce cas, une hyper structure est nécessaire pour coordonner le fonctionnement général et assurer la fluidité des différentes étapes de production. Cette hyper structure est représentée par l’organigramme. La spécialisation a tellement bien marché que les entreprises l’ayant choisi ont prospéré et sont passées de quelques employés à plusieurs centaines voire millions de collaborateurs… C’est le modèle de fonctionnement central du monde industriel. Il a été popularisé par l’organisation scientifique du travail (cf. OST) dont le chantre était Frederick Winslow Taylor et par des entreprises telles que Ford.
3.     Le modèle précédent de l’ère primaire
Il est à noter qu’avant l’ère industrielle, à l’ère primaire (cf. agriculture et extraction minière) chaque individu réalisait toutes les tâches. Ainsi, l’on peut dire que l’on a toujours travaillé en processus. Simplement, tous les ouvriers réalisaient toutes les tâches. Le monde industriel a donc « cassé » cette logique en amenant un modèle qui a permis des accroissements importants de productivité.
4.     Remise en cause du modèle hiérarchique
Aujourd’hui, les conditions ont changé. Les enjeux ne sont plus les mêmes. Le monde industriel était très structuré, les productions relativement simples, les salariés peu formés. L’organisation hiérarchique ayant tellement bien réussi qu’elle a généré des mastodontes peu flexibles, peu réactifs et démotivants. D’autant plus que les collaborateurs sont de mieux en mieux formés, que les outils informatiques et les moyens de communication ont changé la façon de travailler et les relations entre les acteurs.
Ainsi, nous pouvons nous poser des questions légitimes quant à l’adéquation du modèle d’organisation hiérarchique à la société et aux outils d’aujourd’hui.
5.     De la généralisation à la spécialisation des tâches informationnelles
Etrangement, l’ordinateur a eu tendance à reconcentrer toutes les tâches de natures bureautiques, administratives sur le collaborateur. La conséquence est qu’une partie importante du temps de travail des collaborateurs à forte valeur ajoutée (cf. étude de Lefebvre et Lefebvre au Canada) est passé à des tâches à faible valeur ajoutée. Ceci a eu pour conséquence la disparition des secrétaires, aides administratifs, assistants. Rappelons que dans le monde industriel, on donnait systématiquement à un manager ou une personne d’expérience un assistant ou une secrétaire afin qu’il puisse mieux se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée. On estimait qu’il passait ainsi près de 70% sur ce type de tâches alors qu’aujourd’hui c’est l’inverse. Nous sommes donc face à une ineptie économique.
A l’instar du monde industriel, on doit repenser les tâches des travailleurs de l’information. Pourquoi ne pas penser spécialisation au travers de « Centres de services spécialisés » où des secrétaires hyper formées seraient sollicitées.
6.     La disparition du modèle hiérarchique
Compte tenu du niveau moyen des collaborateurs et des outils disponibles, il semble bien que l’organigramme traditionnel aux multiples couches aussi déresponsabilisantes et démotivantes qu’inefficaces ne soit plus adapté. Le cas de l’entreprise Morning Star est emblématique. Il a été décrit récemment par un grand spécialiste : Gary Hamel dans un article devenu célèbre paru récemment dans la Harvard Business Review. L’article est intitulé « Et si on supprimait tous les managers ». Grâce aux nouveaux moyens informatiques et à la responsabilisation des collaborateurs, il n’y  a plus aucun responsable. Tout se passe par contrat fixé entre personnes.
Parallèlement à cette nouvelle responsabilisation des collaborateurs, des nouveaux modèles émergent comme ‘l’open book management’.
Il s’agit donc de repenser le modèle général de gouvernance de nos entreprises en intégrant la dimension systèmes d’information, où les personnes peuvent communiquer selon différents médias.
7.     Synthèse
Nos organisations doivent remettre leur modèle d’organisation en question au moins sur 2 plans essentiels :
Ø  La spécialisation des tâches informationnelles à l’instar de ce qu’a fait le monde industriel et qui lui a permis de faire d’importants gains de productivité
Ø  La suppression des hiérarchies en les remplaçant par des contrats individuels ou collectifs
Le manager n’est plus au sommet de la pyramide mais au centre d’un réseau, d’une toile. Le manager du futur est le « Manager araignée » ou le « Spider Manager ».

André Loechel, Président du Réseau européen des Villes Numérique et de la Fondation des Territoires de Demain.

Les Living Labs et les espaces de l'innovation

Des mutations aussi fortes que celles que nous connaissons depuis la fin de la dernière décennie sont certes porteuses de toutes les difficultés que l’on connaît, mais elles sont également riches de nouveaux modèles émergents qui se trouvent vecteurs de forte valeur ajoutée et nous permettent en conséquence de repenser autant la sphère publique que privée.
Les territoires de demain qui constituent le champ d’action de la Fondation homonyme - qu’il s’agisse de leur acception strictement territoriale ou plus généralement thématique - se présentent ainsi comme porteurs de ces nouveaux modèles, modèles technologiques et économiques certes, mais tout autant culturels et sociaux.
Tous à l’évidence - on essaiera de le (dé)montrer ici au travers de nos exemples - s’avèrent porteurs de nouvelles opportunités, de nouveaux modes d’organisation et de gouvernance des organisations et beaucoup constituent d’ores et déjà de nouveaux leviers de performance et d’innovation.
Les projets se financent ainsi autrement au travers une économie de liens réunissant des polarités de compétences et même les difficultés rencontrées changent de nature au travers de l’émergence d’une société basée sur le savoir et dont il est intéressant de constater la diversité et l’amplitude sémantique utilisée par tous ceux qui s’efforcent de décrire notre nouveau monde - qu’il s’agisse d’un  «capitalisme cognitif», d’une «nouvelle Renaissance» ou encore de la découverte d’écosystèmes constitués de flux de savoirs et de hubs de la connaissance.
Dans l’observation et l’accompagnement des acteurs de l’innovation qu’assurent nos équipes, un phénomène a progressivement émergé - simultanément au sein de plusieurs horizons culturels - après le tournant du siècle et s’est développé avec force avec les années de crise, mettant en lumière s’il en était encore besoin les fondements au moins autant structurels que conjoncturels de celles-ci.
Ce phénomène est celui de la naissance et du développement d’espaces divers dédiés à une innovation ouverte et de rupture et qu’incarnent jusqu’à en constituer le paradigme ce qu’il est convenu d’appeler les laboratoires vivants où se rencontrent essentiellement trois catégories d’acteurs:
·       l’acteur économique - qu’il s’agisse d’un responsable de petite entreprise, d’un créateur de start-up ou bien encore d’un simple porteur de projet -,
·       le chercheur bien sûr,
·       mais aussi et surtout l’usager des nouveaux produits et services en question - concrètement la société civile, l’habitant du quartier, voire l’élu qui le représente -.

Gilbert Réveillon, CEO de Mobile LOOV

La comptabilité ne permet pas de mesurer la création de valeur. C’est un instrument conçu pour répondre à des impératifs fiscaux. Or les systèmes d’information permettent de créer de la valeur mais on ne peut pas la mesurer à l’aide de la comptabilité de l’entreprise. Combien vaut l’écosystème de Facebook constitué de 470.000 partenaires ? En comptabilité elle est comptée pour zéro. Or c’est le principal actif de Facebook.
De même les financements des entreprises ne sont pas adaptés à des entreprises constituées pour l’essentiel par des systèmes d’information. Elles n’ont pas ou peu d’actifs mais elles valent très vite des sommes importantes car elles sont capables de créer des montants considérables de valeur. C’est l’économie de l’attention. Le savoir-faire de ces entreprises est de monétiser l’attention. C’est leur seul moyen de trouver des financements et les ressources humaines nécessaires à leur développement.
Or, en France, il existe un véritable problème de mise à disposition du capital nécessaire à ces entreprises. C’est un vrai problème de gouvernance. Une comparaison entre la France et la Grande-Bretagne montre qu’il est nettement plus facile de trouver Outre-Manche les fonds nécessaires. Statistiquement une start-up a 5 fois plus de chance de survivre en Angleterre que chez nous. On notera incidemment que ces entreprises créer 4 fois plus d’emploi en Grande-Bretagne qu’en France.
Pour améliorer cette situation aux USA l'administration Obama a en avril dernier lancé le JOBS Act pour "Jumpstart Our Business Startups". C’est une loi permettant d’alléger les conditions d'entrée en Bourse pour des start-up notamment pour aller au-delà de la révolution constitué par les plateformes de Crowdfunding (le financement collaboratif) qui permettent de collecter du capital sur le Web.
Mme Laurence Parisot a repris cette idée lors des Assises du Numériques. (sans dire que c’est une reprise du dispositif législatif américain. Il est probable que cette oubli correspond à une tactique d'évitement vis à vis des médias). Elle propose 3 points fondamentaux :
·       la création d'un statut de courtier en financement collaboratif,
·       l’abaissement des conditions requises pour faire appel au marché du financement,
·       l’intégration des entreprises ayant le statut de SAS dans le dispositif.
Il serait bien que le Medef reprenne cette initiative.
Pour les entreprises du numérique la recherche de financement c’est la Vallée de la Mort. Après le « love money » de la famille et des amis il est très difficile de trouver un véritable venture capital capable de financer une activité dont le seul actif est son éco système. Il est vital de lever rapidement cet obstacle. 

dimanche 2 septembre 2012

L’observatoire des projets stratégiques



La gestion de projet est un art difficile. Il est toujours délicat de mener un projet à son terme un projet tout en respectant les budgets qui ont été fixés au préalable. Heureusement il existe un nombre croissant de projets qui arrivent aux résultats attendus, dans les délais prévus et dans le cadre du budget déterminé.

Mais ce n’est pas le cas le plus courant. Il existe encore de nombreux projets qui dérivent et finissent par dépasser les budgets ou les délais les plus pessimistes. Heureusement il existe aussi d’autres projets, qui aurait normalement dû dériver, mais qui finissent dans les budgets et les délais prévus.
L’expérience montre que la maîtrise d’un projet est un enjeu important et c’est toujours une opération délicate.
Pour éviter ces dérives il est souhaitable d’appliquer les bonnes pratiques de gestion de projet. Ce sont des démarches que tout le monde connait. Chacun reconnait qu’elles doivent être appliquées mais qui ne sont pas toujours mis en œuvre. Un premier objectif est de mettre en œuvre ces bonnes pratiques.
Mais il est tout aussi important d’éviter de mettre en œuvre certaines mauvaises pratiques. Elles aussi sont parfaitement connues mais, malheureusement, trop souvent on continue encore d’y recourir.
Pour cela il est nécessaire d’observer l’état des pratiques en matière de gestion de projet. Or, il faut bien le constater, il n’existe pas beaucoup d’enquêtes sur l’analyse des pratiques en ce domaine.

Le référentiel classique : le Standish Group

En ce domaine l’enquête du Standish Group fait référence. La première date de 1994 et elle est effectuée tous les deux ans. Elle calcule le pourcentage de projets qui réussissent, qui dérapent et ceux qui sont abandonnés. La comparaison des chiffres d’origine et les plus récents font apparaître des progrès significatifs.


1994
2009
Réussite
16 %
32 %
Dérive
53 %
44 %
Echec
31 %
24 %

Evolution des principaux indicateurs suivis par le Standish Group

L’observation de ces chiffres permet de dégager quatre tendances se dégagent :
·       Augmentation du taux de réussite des projets. En 1994 seulement 16 % des projets réussissaient dans les budgets et les délais prévus. C’était une situation insatisfaisante. Seize ans plus tard le taux de réussite a doublé pour arriver à 32 %. En gros le taux de réussite des projets a augmenté de 1 % par an au cours de la période. Cela montre que les efforts effectués dans le domaine de la gestion de projet ont été payants mais c’est un processus assez lent.
·       Réduction du nombre de projets arrêtés avant d’être arrivés à leur terme. Il est normal qu’il y existe des échecs. Le taux de 31 % constaté en 1994 était inquiétant. Il était le signe d’une fragilité indiscutable. On est arrivé seize ans plus tard à 24 %. C’est un résultat très positif mais encore trop élevé. Il reste encore des progrès importants à réaliser dans ce domaine. On peut noter qu’en 2002 ce taux d’échec était tombé à 15 % ce qui était très satisfaisant mais depuis quelques années on constate que le taux d’échec est remonté à 24 %.
·       Tendance à la réduction du nombre de projets dérivants. Simultanément on note une baisse significative du nombre de projets connaissant une dérive. En seize ans ils sont passés de 53 % à 44 %. C’est une baisse intéressante mais la probabilité de dérive reste encore trop élevée.
·       Diminution de la dérive des projets à problème. La dérive moyenne est de 40 %. Elle concerne aussi bien la charge de travail, les coûts ou les délais. On évoque souvent des dérives de 100 ou 200 % mais ces cas sont rares. Les dérives observées sont généralement plus faibles. C’est la preuve d’une meilleure maîtrise des projets. Mais elle reste encore trop élevée. Il existe aussi en ce domaine une marge de progrès significative.
Ces quatre chiffres permettent d’apprécier l’impact de la gestion de projet. Malheureusement la démarche du Standish Group ne va pas plus loin. En particulier elle n’explique pas la ou les causes des phénomènes observés. Si les ratios sont bons, tant mieux, s’ils se dégradent, on ne peut que le constater et le regretter. Dans ces conditions les chefs de projet et les directeurs d’études ont du mal à définir les différents dispositifs de gestion de projet à mettre en place.

L’ambiguïté des résultats

Les chiffres du Standish Group posent de nombreux problèmes d’interprétation. Ainsi on met dans la même catégorie le projet ayant été arrêté dès l’étude d’expression des besoins et celui qui est mené jusqu’à son terme et qui est refusé aux tests.
De même à partir de quel moment doit-on considéré qu’un projet n’a pas réussi et qu’il dérive. Est-ce 5 %, 10 % ou plus ? Il est certain que si on fixe comme règle de n’avoir aucune dérive tant en matière de délais que de budget il risque alors d’y avoir peu de projets éligibles au statut de « Réussite ».
Mais surtout l’étude du Standish Group ne permet pas d’identifier les facteurs de réussite et d’échec des projets. Dans ces conditions il est difficile de savoir quelles sont les mesures qu’il faut prendre pour réduire le taux d’échec, limiter le nombre de projets qui dérivent et surtout de réduire le pourcentage de dérive observé.
Plus généralement, ceci est dû au fait que ce type d’enquête ne permet pas d’identifier les bonnes pratiques mises en œuvre et de mesurer leur impact. Il est pour cela nécessaire de ne plus se limiter à l’analyse des projets mais de s’intéresser à l’organisation de la fonction études.

Une initiative intéressante : l’Observatoire des projets stratégiques

C’est justement l’objet de l’Observatoire des projets stratégiques. Ce projet a été lancé à l’initiative d’un cabinet de conseil : Daylight et deux organismes universitaires : l’ENSIIE (Ecole Nationale Supérieur d’Informatique pour l’Industrie et l’Entreprise) et l’IAE de Lille ([1]). Ils ont eu l’excellente idée de lancer une enquête approfondie sur la pratique de la gestion de projet des entreprises françaises.

Première page du rapport

Ils ont ensemble lancé le programme Aurore afin de mieux comprendre l’impact des différentes mesures possibles sur la réussite des projets. Les objectifs de ce programme est de :
·       Déterminer l’impact des mesures permettant de mieux maîtriser les projets.
·       Identifier les facteurs déterminants la réussite des projets.
·       Mesurer l’influence des facteurs humains sur les projets, notamment les compétences des personnes et leur aptitude au commandement.
L’observation montre qu’il existe une forte corrélation entre le type de moyens mis en œuvre par les entreprises et le taux de réussite des projets informatiques. Un modèle empirique a été conçu et il a été validé sur la base des observations effectuées. Cela fait la troisième année que cette enquête est réalisée et le rapport disponible concerne l’année 2011. Toutes les informations concernant cette enquête sont disponibles sur le site de l’observatoire.
Le questionnaire est consultable sur le site de l’observatoire.
La troisième enquête vient d’être lancée. Son questionnaire est disponible.  
Le rapport del’enquête 2011 est téléchargeable.
A la lecture de ce rapport un certain nombre de faits significatifs se dégagent.

Quelques constats simples

Le taux de réussite des projets est satisfaisant et confirme les chiffres du Standish Group : « 47% des répondants estiment que plus de la moitié de leurs projets réussissent ».
Par contre on constate que : « le taux d’échec des projets reste élevé ». L’enquête montre que 26 % des répondants déclarent que : « plus de la moitié de leurs projets dérapent de plus de 15% en termes de coûts, de délais ou de périmètre ». La formulation est un peu complexe mais la tendance qui se dégage est simple : un quart des entreprises ont du mal à maîtriser leurs projets.
Le taux de réussite ou d’échec des projets est en fait lié à l’organisation spécifique à certaines entreprises. Elles arrivent à maîtriser leurs projets dans de bonnes conditions alors que d’autres rencontrent plus de difficultés.
Bonne nouvelle, toutes les entreprises font de la gestion de projet, du moins toutes celles ayant participées à l’enquête. C’est une activité parfaitement identifiée. Cependant on note que les manières d’aborder cette démarche sont assez différentes d’une entreprise à l’autre :
·       Les entreprises déclarent utiliser de nombreuses méthodes de gestion de projet comme MCP, SDMS, Prince2, RUP, RAD, SCRUM,…. Cependant on constate qu’aucune méthode ne peut être considérée comme un standard.
·       30 % des entreprises recourent à une démarche de gestion de projet formalisée et l’ont réellement misent en œuvre. C’est un pourcentage intéressant mais ce n’est qu’un petit tiers des entreprises. En vérité près de la moitié des entreprises, plus précisément 46 % d’entre elles, n’ont pas de référentiel ou si elles en ont un, il n’est pas obligatoire de l’utiliser et sa mise en œuvre est laissée à l’initiative de chaque chef de projet. Plus précisément 22 % des entreprises n’ont aucune méthode et 25 % ont défini un référentiel mais il n’est pas appliqué de manière systématique à tous les projets.
·       Dans 40 % des cas le choix du référentiel est laissé à l’initiative des chefs de projet. Cela ne veut pas dire que n’importe qui fait n’importe quoi mais cela signifie une certaine hétérogénéité des méthodes mises en œuvre.
·       Parmi tous les projets certains sont stratégiques. Ils représentent pour l’entreprise un enjeu très important. Or, on constate que ceux-ci sont particulièrement fragiles : 55% des entreprises estiment qu’entre 16% et 50% de leurs projets stratégiques sont abandonnés en cours de route.
·       Pour gérer efficacement un projet il est nécessaire de disposer d’un « système d’information projet » permettant de suivre son avancement et le cas échéant pour intervenir rapidement. Or, un quart des entreprises ne dispose pas de ce type de dispositif. Parmi les autres, la moitié des entreprises disposent d’outils hétérogènes. Seules 20 % des entreprises ont des tableaux de bord de projet et uniquement 9 % des entreprises utilisent des outils collaboratifs permettant de faciliter la réalisation des projets.
·       Plus étonnant, seulement 43 % des entreprises évaluent de manière prévisionnelle les coûts des projets. Cela ne veut pas dire que la majorité des entreprises ne suivent pas le coût des projets. Elles peuvent disposer d’un suivi des dépenses mais dans 43 % des cas il n’est pas possible de comparer les réalisations et les prévisions, car celles-ci n’existent pas.
·       En fait seuls 9 % des entreprises établissent des « business cases » complets, c’est-à-dire des études d’expression des besoins. Ce n’est pas brillant. C’est une véritable faiblesse qui explique une bonne partie des dérives constatées. D’un autre côté cela montre qu’il existe encore une marge de progrès significative et de plus elle est assez facile à mettre en œuvre.
·       Ceci est peut-être dû au fait que seulement un tiers des entreprises considèrent que la fonction de chef de projet est un métier à part entière. Pour 21 % des DSI et 47 % pour des maîtrises d’ouvrage la fonction de chef de projet est temporaire. C’est une mission ponctuelle.
·       Ceci se retrouve dans la formation des chefs de projet. Seulement 39 % des DSI et 13 % des responsables se trouvant dehors de la DSI prennent en compte ces besoins. En effet, pour quelle raison pour former les chefs de projet puisque la plupart des responsables considèrent que c’est une fonction temporaire !
·       Autre faiblesse : 62 % des entreprises n’ont pas de structure permanente dédiée au support des projets type PMO. Lorsque ces structures existent, elles ont pour but de renforcer la méthodologie de gestion de projet utilisée par l’entreprise (42 %), mettre en place une gestion de portefeuille de projets (35 %) et assurer la planification des opérations (31 %). On constate que cette structure a très rarement un rôle de capitalisation des connaissances.
·       Autre fait significatif : la moitié des entreprises n’effectuent pas d’évaluation des projets terminés. Il est dans ces conditions très difficile de bénéficier des leçons de l’expérience.
·       41 % des entreprises effectuent des analyses des risques liés aux projets. C’est intéressant. De plus, 35 % des entreprises effectuent des études de risques ponctuelles. Seulement 21 % des entreprises ne font aucune étude de risques. C’est un progrès appréciable.
Ces chiffres montrent que les entreprises ont pris conscience de l’importance de la gestion de projet. Mais ils font aussi apparaître l’existence de nombreuses fragilités. Il existe encore une marge importante de progrès. Afin d’arriver à un niveau de maturité satisfaisante il est encore nécessaire de réaliser des efforts importants.

Deux enseignements fondamentaux

L’enquête de l’Observatoire des projets stratégiques fait apparaître deux résultats importants qui permettent de dégager des axes de progrès en matière de gestion de projets :
·       Le taux de réussite des projets dépend directement des moyens mis en œuvre. Si les processus de gestion de projet ont atteint un niveau de maturité suffisant et si les entreprises ont mis en place des moyens sérieux pour les mener à bien, on constate alors un taux de réussite des projets nettement plus élevé. Les entreprises ayant mis en place des structures de gestion de projet ont une capacité élevée à réussir leurs projets et en particulier les projets à enjeux stratégiques. Au contraire, les entreprises ayant peu ou pas de structure de gestion de projet souffrent d’un taux d’abandon élevé des projets et ont une forte tendance à voir leurs projets déraper.
·       La capacité des entreprises à détecter rapidement les problèmes critiques et le taux de réussite des projets. Il existe une forte corrélation entre la capacité à détecter les problèmes et le taux de réussite des projets. 50 % des entreprises détectent précocement les problèmes qui peuvent survenir notamment ceux concernant les coûts, les délais, et le périmètre fonctionnel. Le délai de réaction idéal est inférieur à la semaine. Elles sont capables de faire rapidement remonter l’alerte au bon niveau de décision. A l’inverse, les entreprises peu réactives, c’est-à-dire réagissant en plus de deux semaines, sont moins performantes et souffrent d’un taux important d’abandon des projets.
Ces constatations montrent que pour augmenter le taux de réussite des projets il est nécessaire d’améliorer les processus de gestion de projet. Pour cela on doit mettre en place une structure permanente d’aide aux chefs de projets. Il est aussi important d’adapter l’organisation des équipes projet de façon à renforcer la réactivité. Il est pour cela nécessaire de faire très rapidement remonter le constat d’éventuels dérives au niveau nécessaire afin que la bonne décision soit prise sans tarder.

Les bonnes pratiques en matière de gestion de projet

Les résultats de l’Observatoire des projets stratégiques montrent l’importance d’appliquer les bonnes pratiques. Ce sont particulièrement quelques règles de base :
·       Systématiser la réalisation de « business cases ». Tout projet d’une certaine importance doit faire l’objet d’une étude de faisabilité. C’est une règle impérative. C’est le moyen le plus efficace pour limiter les dérives fonctionnelles, de délais ou de budget. Cette étude doit être faite dès que le projet représente plus de 100 jours de conception et de développement.
·       Évaluer systématique les projets 6 mois après leur démarrage de façon à détecter d’éventuelles faiblesses dans le processus de gestion des projets : sous-évaluation ou oubli de certaines étapes, livraison tardive, validation incomplète,…. L’absence d’évaluation fait que les mêmes erreurs se répètent de projet en projet.
·       Mettre en place des tableaux de bord des projets. Il est indispensable de suivre l’évolution de chaque projet pas à pas. Pour cela on va s’attacher à suivre la consommation de la charge, les dépenses, l’avancement,… Ce document établi par le chef de projet permet à la maitrise d’ouvrage et à toutes les parties prenantes de suivre le projet et éventuellement détecter des dérives.
·       Des chefs de projet permanents et formés. C’est un métier de professionnels, exercé à plein temps, pendant une durée significative de leur vie active de façon à acquérir une expérience suffisante. Il faut le détail des opérations liées aux projets. Il est nécessaire de connaître apprendre à faire face aux principales difficultés rencontrées. Cela prend du temps. Un important effort de formation aux techniques de gestion de projet est nécessaire.  
·       Mettre en place des PMO. Les chefs de projets doivent être assistés par des personnes chargées de les aider à mener à bien leurs tâches. Ces PMO n’ont pas seulement un rôle de suivi et de coordination mais ils doivent exercer une mission plus large couvrant la méthode de gestion de projet et de capitalisation des connaissances.
·       Mettre en place un dispositif d’alerte. Dès qu’un projet s’écarte de manière significative de sa feuille de route théorique il est nécessaire de réagir le plus vite possible. Cette réactivité repose sur un dispositif d’alerte remontant très rapidement l’information auprès des décideurs afin qu’ils prennent immédiatement les mesures nécessaires.
Ces bonnes pratiques peuvent paraître évidentes mais l’observation montre qu’elles ne sont pas toujours mises en œuvre. Il existe en ce domaine une marge de progrès importante.

Des mesures simples à mettre en œuvre

Pour améliorer l’efficacité des projets il est nécessaire de mettre en place différentes mesures simples telles que :
·       Mettre en place d’un référentiel de gestion de projet. Pour faciliter le dialogue entre les différentes parties prenantes il est nécessaire de définir des concepts et des points de contrôle communs. Il faut que tous les parties prenantes au projet parlent le même le langage. Ce référentiel doit être indépendant des technologies mises en œuvre ou des langages utilisés (Cobol, Java, PHP, transactionnel, batch, Web,…).
·       Définir précisément le rôle du chef de projet. Contrairement à une idée souvent répétée il n’est pas responsable de tout sans cela il a changé de fonction et il n’est plus simplement chef de projet mais maître d’ouvrage. Pour éviter cela il est nécessaire de définir ses tâches et ses responsabilités   
·       Créer des unités d’appuis du type PMO. Il est indispensable d’aider les chefs de projets à mener à bien les développements informatiques en respectant les bonnes pratiques. On doit veiller à renforcer le suivi et la coordination des opérations. Il est aussi important d’améliorer la méthode de gestion de projet et de capitaliser sur les projets existants.
·       Assurer une formation adaptée des responsables. Aussi paradoxale que cela paraisse la plupart des maîtres d’ouvrage et même les informaticiens ont des connaissances limites en matière de gestion de projet. D’ailleurs très peu d’écoles ou d’université forment au métier de chef de projet. Il est important de sortir de cet amateurisme.
·       Systématiquement mettre en place un comité de pilotage. Trop souvent on constate que de nombreux projets n’ont pas de comité de pilotage et, quand il y en a un, il ne comprend pas les décideurs concernés. Il est dans ces conditions difficile d’assurer un suivi du projet efficace et de coordonner les opérations.
·       Créer et faire fonctionner un système d’information dédié aux projets. Il faut suivre non seulement les plannings, la charge consommée et les dépenses de chaque projet mais aussi la productivité et les bénéfices liés aux projets. Généralement on n’a qu’une partie des informations nécessaires. Ceci fait que le contrôle des projets est souvent imparfait.
·       Gérer efficacement les alertes. Dès qu’un dysfonctionnement du projet apparaît il faut que le chef de projet soit immédiatement prévenu, y compris sur les tâches sous-traitées à une société de services, et il doit rapidement faire remonter cette information sur les membres du comité de pilotage et les parties-prenantes. Un problème survenant, doit être régler dans la semaine suivante son apparition. Au-delà le projet prend des risques.
L’application de ces quelques mesures doit permettre une amélioration significative du fonctionnement des projets. Cela doit se traduire par une amélioration significative de la gouvernance des projets. Leur mise en œuvre devrait réduire le nombre des projets échouant et surtout le pourcentage de dérive des projets.

[1] - Cet organisme est le seul à assurer en France un master spécialisé dans la gestion de projet.

lundi 9 juillet 2012

La gouvernance des projets de système d’information

Trop souvent on confond la notion de projet informatique et celle de projet de système d’information. En réalité ce sont deux démarches très différentes. Un projet de système d’information comprend un projet informatique. C’est une approche plus large.
Le projet informatique comprend le développement et la mise en place d’une application. Il est pour cela nécessaire de la concevoir, de la réaliser, de la tester et de la mettre en œuvre. Mais la notion de projet de système d’information va plus loin car non seulement il est nécessaire de concevoir et de réaliser une application mais il est surtout nécessaire de modifier l’organisation en place, de faire évoluer les compétences et de former le personnel. C’est un projet plus large et plus complexe. Un projet de système d’information c’est un projet majeur de l’organisation accompagné d’un volet plus technique concernant l’évolution de son application informatique.
Les projets de système d’information concernent un domaine beaucoup plus large que ceux concernant le seul périmètre informatique. Ils sont donc assez différents les uns des autres. Les objets à produire sont très différents et les règles de gouvernance à mettre en œuvre sont, elles aussi très différentes.

Des enjeux considérables

Les investissements réalisés par les entreprises et les administrations dans les systèmes d’information sont considérables. Aux investissements informatiques à proprement parler s’ajoutent le temps des mangers et des utilisateurs mais surtout la charge de travail nécessaire pour assurer l’évolution de l’organisation en place. Depuis quelques années on assiste à l’augmentation régulière de cette partie qui tend à devenir presque aussi importante que celle des développements.
Malheureusement on ne dispose d’aucune statistique concernant le coût des projets de système d’information ([1]). Globalement on peut estimer qu’en France le montant global des investissements de l’ordre de 50 milliards d’euros par an ([2]). C’est une somme conséquente. Ce montant représente la moitié du total des dépenses informatiques qui doivent être de l’ordre de 100 milliards d’euros par an.
Les investissements informatiques représentent une part importante des investissements annuels faits par les entreprises et les administrations est en France qui est de l’ordre de 265 milliards d’euros par an ([3]). Les investissements informatiques représentent entre 15 % et 20 % du total des investissements. A cela s’ajoute la charge de travail assurée par les maîtrises d’ouvrages et les utilisateurs. On peut estimer ces dépenses à un montant compris entre 10 et 20 milliards d’euros par an ([4]).
Ce sont des investissements importants, mais bien gérés, ils ont d’une rentabilité élevée, voir très élevée. Généralement les investissements industriels ont des retours (les pay-backs) compris entre 4 et 8 ans. Or, les investissements informatiques ont des retours compris entre 2 et 4 ans. Ceci explique l’intérêt accordé par le management par ces opérations. Faut-il encore les maitriser convenablement ! Aujourd’hui l’ensemble de ces investissements ont un impact significatif sur la rentabilité et l’efficacité des entreprises. Plus le temps passe, plus cet effet est significatif. Ceci explique qu’ils sont aujourd’hui devenus un facteur clé de la croissance économique.

Un puissant levier de croissance

Ces faits expliquent l’importance accordée par les pouvoirs politiques à l’économie numérique. Son importance croissante est dû à la conjonction de deux mécanismes économiques fondamentaux :
-        Les gains de productivité. C’est l’impact classique des investissements informatiques. Elle consiste à dépenser moins de ressources pour effectuer les mêmes opérations comme la saisie d’un dossier client, l’émission d’une facture,… Il existe encore une réserve importante de gains de productivité qui seront dégagés dans les années à venir grâce au développement des systèmes d’information.
-        Les gains de l’efficacité. Ils sont liés à une augmentation du chiffre d’affaires de l’entreprise et à une augmentation significative des marges dégagées. C’est le domaine d’excellence du commerce électronique mais aussi d’applications développées à l’aide de serveurs Web. C’est le cœur des développements à venir.
Pour ces raisons il est important d’être sélectif dans le choix des projets de façon à concentrer ses efforts sur les opérations les plus intéressantes. Il ne s’agit pas pour autant d’éliminer tous les projets à rentabilité faible ou incertaine mais de privilégier les opérations les plus intéressantes.
Autre facteur clé : la capacité de l’entreprise à gérer les projets informatiques. Il y a des entreprises très performantes et d’autres ayant plus de mal dans ce domaine. CMMI a montré qu’il y a des écarts importants entre les entreprises situées au niveau 2 et celles se trouvant au niveau 5.
Mais au-delà de ces constatations il est nécessaire de prendre en compte la capacité de l’entreprise à gérer un projet de système d’information. La maturité du processus de gestion de projet se traduit par une capacité à mieux maîtriser les délais, les budgets et les performances attendues du futur système d’information. Pour les entreprises cette meilleure maîtrise des systèmes d’information est un enjeu vital car les systèmes d’information constituent une partie croissante des produits ou des services vendus. Les clients sont acheteurs de systèmes d’information de plus en plus sophistiqués. Par exemple, quand on envoie un colis où un pli important on trouve normal de pouvoir le suivre jusqu’au moment de sa livraison. De même, le fait de pouvoir consulter à tout instant des catalogues électroniques de produit avec photos et plan à jour semble aujourd’hui une opération naturelle.

Le rôle des bonnes pratiques en matière de systèmes d’information

La maturité des systèmes d’information est pour chaque entreprise un objectif stratégique. Elle permet de mesurer l’aptitude des entreprises à mettre en œuvre des systèmes d’information contribuant de manière significative à leur rentabilité et leur efficacité. Elle est, en grande partie, liée à la capacité de mettre en œuvre un certain nombre de bonnes pratiques. Elles concernent quatre domaines particuliers :
-        La conception des systèmes d’information. Un système mal conçu, quelque soit la qualité des autres opérations effectuées, ne donnera jamais des résultats satisfaisants. A l’inverse un système bien conçu sera facile à mettre en œuvre et se mettra en place sans peine. La qualité de la conception est un facteur clé de réussite des systèmes d’information. Pour être efficace elle doit reposer sur une architecture et une organisation clairement définies. Il est pour cela important de prendre en compte l’organisation préexistante. C’est la base de la conception du futur système. Une bonne conception doit permettre d’avoir une organisation évolutive. Celle-ci doit être capable d’évoluer et de s’adapter à des changements du contexte.
-        Le fonctionnement des systèmes d’information doit être régulier et performant. Les opérations doivent se dérouler sans problèmes avec régularité et sans interruption. Un ou plusieurs responsables doivent être chargés de les surveiller et d’intervenir en cas de nécessité. Ce peut être un responsable du métier, de processus ou un maître d’ouvrage. Des indicateurs de performances regroupés dans un tableau de bord régulièrement mis à jour. Le système informatique doit fournir, de manière régulière, les informations nécessaires pour exercer cette surveillance. permettent de piloter les opérations, Ces indicateurs doivent permettre d’améliorer la productivité et d’accroître l’efficacité du système d’information.  
-        L’adaptation des systèmes d’information. Ils doivent s’adapter aux évolutions du contexte de l’entreprise : apparition de nouvelles fonctions, changement de réglementation, renforcement des contrôles, évolution du contenu des tâches,… Les systèmes d’information ne sont pas des systèmes statiques, ils sont évolutifs. Pour éviter toute dérive importante ces changements doivent être gérés en mode projet. Ceci concerne la partie informatique des systèmes d’information mais aussi les changements d’organisation. Ces démarches comportent des mesures ponctuelles, des refontes partielles ou des refontes totales. Ce sont des opérations délicates à mener et elles demandent de mettre en place un pilotage rigoureux.
-        Le pilotage des évolutions des systèmes d’information. Ces changements doivent être pilotés par une personne ayant une vision d’ensemble du système d’information. Pour réussir il est très important d’avoir la confiance des différentes parties prenantes concernées. De plus il faut mettre en place un dispositif de pilotage adapté capable de réagir rapidement à des changements du contexte. Toutes ces évolutions doivent être suivies et toute dérive doit être rapidement détectée. Pour cela le pilote a la responsabilité d’établir des plannings et des budgets et de les suivre.
Il existe, comme on le voit, un certain nombre de bonnes pratiques concernant la gouvernance des systèmes d’information. Elles reposent sur le degré de maturité des systèmes d’information. L’expérience montre qu’il existe des situations où l’évolution des systèmes d’information est correctement maîtrisée et des cas où ces opérations sont plus délicates. C’est un enjeu important. Il est, pour ces raisons, important de s’assurer de l’application des bonnes pratiques.

Les trois dimensions du système d’information

Ces bonnes pratiques reposent sur trois grandes règles de management des projets adaptées au contexte des systèmes d’information :
-        La définition du périmètre du système d’information. C’est un enjeu majeur. Face à un besoin donné on peut envisager plusieurs solutions possibles : fixer un périmètre large ou au contraire envisager une solution minimale. Il est alors possible de choisir celle qui est le plus adaptée notamment en ce qui concerne le périmètre fonctionnel de l’application informatique mais aussi sur l’organisation à mettre en place.
-        Le coût du projet et les coûts de fonctionnement du système d’information. Il faut d’abord maîtriser le montant total des investissements nécessaires. Ce sont d’abord le coût du développement mais aussi l’achat des progiciels. Mais, c’est aussi le matériel nécessaire et surtout l’organisation qu’il est nécessaire de mettre en œuvre. Il est aussi nécessaire de suivre de près le coût de fonctionnement du système d’information. Ce montant comprend les frais de personnel, les coûts des locaux nécessaires, l’amortissement des investissements de matériels et de logiciels, les quotes-parts de direction,… Sur cette base il est possible de calculer les coûts unitaires par opération qui sont des indicateurs intéressants à suivre.   
-        L’efficacité du dispositif. C’est un point important. Il est nécessaire de mesurer la contribution du système d’information au fonctionnement de l’entreprise. Est-ce qu’il contribue de manière significative à l’amélioration de la productivité et de l’efficacité de l’entreprise ? Les investissements effectués dans les systèmes d’information doivent se traduire par des gains significatifs et mesurables comme des réductions de coûts, des augmentations de chiffre d’affaires ou des améliorations significatives de la marge nette. Si non ce sont des investissements sans contrepartie directe.
Une maîtrise insuffisante du périmètre fonctionnelle du projet de système d’information se traduit généralement par une dérive significative de son budget. De même, l’accumulation de gains insuffisants se traduit, tôt ou tard, par une pression croissante sur la rentabilité globale de l’entreprise.

Quelques points clés

Dans ces conditions il est nécessaire d’être très attentifs à un certain nombre de points clés qui sont autant de facteurs de succès comme :
-        Avoir une vision globale des systèmes d’information. Trop souvent on développe les applications informatiques au coup par coup sans les mettre en perspective. Cela se traduit par une forte hétérogénéité des systèmes d’information. Il est nécessaire de lutter contre cette dispersion en ayant une approche globale des systèmes d’information.
-        Lier les systèmes d’information à la stratégie de l’entreprise. Pour éviter les dérives il est nécessaire de positionner les différents systèmes d’information à la stratégie générale de l’entreprise. Trop souvent on note qu’ils s’éloignent de ces orientations et cette dispersion se traduit par une perte d’efficacité.
-        Placer les systèmes d’information au cœur de l’entreprise. Or, ce n’est pas ce qui est observé. Trop souvent l’informatique est encore conçue comme une activité en marge de l’entreprise. Les systèmes d’information sont alors considérés comme des fonctions de service. Il faut inverser cette approche et considérer qu’ils constituent le cœur de l’activité de l’entreprise ([5]).
-        Définir clairement la responsabilité de chaque système d’information. Il est important de préciser le rôle de chacun et notamment de définir qui fixe les principales orientations le concernant. Il doit définir les évolutions nécessaires, les planifier et ensuite s’assurer qu’elles sont mises en œuvre dans de bonnes conditions. Il est possible que cette responsabilité soit collective mais dans ce cas il est nécessaire de définir des règles de fonctionnement permettant d’éviter tout blocage.
-        Orienter les systèmes d’information vers les processus. Traditionnellement les systèmes d’information ont été conçus pour gérer les différentes fonctions de l’entreprise. Depuis quelques années les ERP ont permis de mettre en place des systèmes d’information orientés vers les processus. C’est une évolution majeure qui va se traduire par des changements de l’organisation des entreprises.
-        Piloter les projets de systèmes d’information. Comme il est nécessaire de piloter les projets informatiques on doit piloter les projets de système d’information. C’est un objectif complexe car on doit d’abord gérer le projet informatique puis ensuite prendre en charge le projet organisationnel et humain. Son pilotage est toujours délicat et nécessite des personnes expérimentées.
-        Assurer l’évolution régulière des systèmes d’information. Ils évoluent par étape car il est toujours délicat de les faire changer. L’expérience montre que les sauts trop importants peuvent mener à des situations délicates. Il est, pour cela, nécessaire de planifier ces opérations dans le temps en veillant à éviter d’avoir des étapes trop lourdes et trop longues.
Ces différents points clés montrent l’importance des bonnes pratiques en matière de gestion de projets des systèmes d’information. Or, la mise en œuvre efficace des systèmes d’information est un enjeu majeur pour les entreprises. Malheureusement, ils sont, trop souvent, laissés à l’initiative des bonnes volontés. Dans certains cas les résultats sont satisfaisants, mais dans de nombreux autres cas ils laissent à désirer. C’est une affaire de gouvernance.

Conclusion

Il est pour cela nécessaire de développer les règles de gouvernance des systèmes d’information. Il faut aller au-delà des concepts de gouvernance de l’informatique vers une approche plus élargie de la gouvernance adaptée aux systèmes d’information. Cette évolution est en cours. Il faut la renforcer et la systématiser.
Il est notamment fondamental d’arriver à aligner les projets de systèmes d’information sur la stratégie de l’entreprise. C’est un enjeu majeur. La rentabilité et même la pérennité des entreprises en dépendent.


[1] - Même le montant des investissements informatiques globaux est souvent ignoré. L’INSEE comme les cabinets de marketing tel que Gartner, IDC, PAC,… ont du mal à les chiffrer et proposent que des vues partielles tendant à sous-estimer ce montant.
[2] - Le montant annuel des investissements informatiques comprend :
-        Les achats de progiciels pour environ 10 milliards d’euros,
-        La réalisation de développements spécifiques pour environ 20 milliards d’euros dont la moitié est dépensé en interne et l’autre moitié est prise en charge par les sociétés de service,
-        Les achats de matériels pour environ 20 milliards d’euros dont la moitié correspond à la vente de logiciels systèmes, de base de données,… et le reste en hardware à proprement parler.
[3] - Le montant des investissements se composent de 193 milliards d’euros fait par les entreprises non-financières, 12 milliards d’euros pour les entreprises financières et 59 milliards d’euros pour les administrations publiques.
[4] - La charge de travail des maitrises d’ouvrages et des utilisateurs correspond au travail de conception des applications et de tests des programmes. A cela s’ajoute les coûts de formation, de réorganisation et de mise en place liés à la mise en œuvre des systèmes d’information.
[5] - A ce jour très peu d’entreprises ont réalisé cette révolution copernicienne. Elles ne font que commencer leur processus de « googelisation ». C’est une mutation majeure à venir.